Dans un entretien accordé à TOP CONGO FM, le professeur Bob Kabamba, universitaire belge d’origine congolaise et l’un des rédacteurs de la Constitution de 2006, a abordé les questions fondamentales autour de la révision et du changement de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC). Ce débat revient avec force dans le contexte politique actuel, notamment à la suite des propositions récurrentes de révision constitutionnelle lancées par le gouvernement de Félix Tshisekedi.
Révision vs Changement de la Constitution : Deux concepts différents
Dans son analyse, Bob Kabamba a souligné une distinction fondamentale entre la révision et le changement de la Constitution, deux concepts qui, selon lui, ont des implications juridiques et politiques très différentes.
« Quand on parle de révision de la Constitution, il est question d’amendements ponctuels, de modifications d’articles spécifiques. Cela reste dans le cadre de la Constitution elle-même », explique-t-il. « En revanche, le changement de la Constitution, c’est tout effacer et recommencer, c’est, en quelque sorte, un coup d’État. » Pour Kabamba, un changement total de la Constitution reviendrait à effacer la base juridique qui fonde les institutions en place, ce qui entraînerait leur chute immédiate.
Le coup d’État dans l’histoire de la RDC : Une analyse rétrospective
Le professeur Kabamba, qui a étudié en profondeur l’histoire constitutionnelle de la RDC, a rappelé les moments-clés où le pays a connu des ruptures constitutionnelles. Il évoque, par exemple, le coup d’État de Mobutu en 1965, qu’il distingue du changement de la Constitution de 1967, un acte qu’il qualifie de « transition ». « Mobutu a mis en place une constituante qui a produit la Constitution du 20 mai 1967, mais ce n’était pas un coup d’État au sens strict », précise-t-il.
Il revient également sur l’accession de Joseph Kabila au pouvoir en 2001, qu’il considère comme un coup d’État, car la Constitution de l’époque ne prévoyait pas de mécanisme pour gérer la vacance du pouvoir. Cependant, en 2003, avec l’accord de Sun City, la RDC a adopté un nouvel ordre constitutionnel, mettant fin à la guerre civile et amorçant une période de transition.
La Constitution de 2006 : Un texte à réviser, pas à changer
Interrogé sur la pertinence actuelle de la Constitution de 2006, qui régit encore le pays après près de 18 ans, Bob Kabamba admet qu’elle a permis à la RDC de sortir de la guerre et d’organiser des élections, favorisant ainsi la stabilité et l’alternance politique. « Cette Constitution a permis au Congo d’entrer dans une ère nouvelle. Sans elle, je ne pense pas que Félix Tshisekedi serait président aujourd’hui, et il est clair que la limite des mandats imposée à Joseph Kabila a été rendue possible grâce à ce texte », affirme-t-il.
Cependant, il reconnaît que certaines lacunes doivent être corrigées. Selon lui, la Constitution actuelle présente des défauts qui justifient une révision, mais pas un changement radical. « Il y a des points problématiques, par exemple la question du régime politique, où il est nécessaire de revoir la relation entre le président de la République et le Premier ministre. Le président devrait avoir plus de pouvoirs décisionnels, sans être obligé de passer par un contreseing du Premier ministre », explique-t-il.
Les défis de la révision constitutionnelle
Bien que la Constitution de 2006 ne soit pas parfaite, Bob Kabamba estime que la révision reste la voie la plus appropriée pour apporter des ajustements. « Il n’existe aucune constitution dans le monde qui prévoie de manière détaillée comment elle doit être changée. La Constitution est faite pour durer et pour garantir la stabilité d’un État. Modifier sa structure fondamentale équivaudrait à risquer une désintégration des institutions », alerte-t-il.
Le professeur rappelle également qu’en vertu de l’article 64 de la Constitution, toute tentative de révision ou de changement de l’ordre constitutionnel peut être considérée comme un acte de haute trahison, un principe qui protège la pérennité de l’État congolais face à des ambitions de pouvoir illimité.
Réformes nécessaires mais mesurées
Bob Kabamba plaide pour une révision ciblée et mesurée. Parmi les réformes qu’il juge urgentes, il évoque la possibilité d’introduire des modifications sur des points comme la double nationalité, la question de l’impunité des responsables politiques après leur mandat, et la clarification des relations entre l’État central et les provinces. Ces changements pourraient se faire sans toucher à l’architecture fondamentale du texte actuel, à condition de respecter les règles prévues par la Constitution.
Il insiste également sur le fait que des révisions peuvent avoir lieu sans remettre en cause des principes clés, comme la limitation du mandat présidentiel. Selon lui, la question des mandats présidentiels est perçue comme une menace par une partie de la population, mais il estime qu’il serait possible d’effectuer des ajustements pour éviter toute dérive autoritaire, sans pour autant toucher à l’article 220 de la Constitution, qui fixe la durée des mandats présidentiels.
Conclusion : Une réforme dans le respect des principes
Bob Kabamba conclut son analyse en soulignant que la Constitution de 2006 a joué un rôle crucial dans le maintien de l’ordre démocratique et la stabilité du pays. Pour lui, la révision de la Constitution est une nécessité, mais elle doit se faire dans le respect des principes fondamentaux et ne doit pas servir d’instrument pour concentrer davantage de pouvoir entre les mains d’un seul individu.