Milan, 19 juin 2025. Photo solennelle, sourire crispé, maillot rossonero brandi : le ministre congolais du Tourisme, Didier Mpambia Musanga, pose aux côtés de Paolo Scaroni, président du club lombard AC Milan. Officiellement, les deux hommes viennent de sceller un « partenariat stratégique » entre la République Démocratique du Congo et l’un des clubs les plus emblématiques d’Europe. Mais derrière les flashs, une série de zones d’ombre, de montages opaques et de contradictions budgétaires posent une question simple : à qui profite réellement ce contrat ?
Un accord prestigieux sur le papier
Selon le communiqué officiel, cet accord va bien au-delà du sport. Il s’agit, selon les termes du ministre Mpambia, d’un « levier pour promouvoir l’image de la RDC, développer le tourisme et soutenir la jeunesse ». Parmi les actions prévues : la promotion du tourisme congolais à l’international, la création de la première AC Milan Academy en RDC, la réhabilitation d’une infrastructure sportive, la construction d’une école à Boma (via la Fondation Mama Sofia), ou encore l’affichage du logo de la RDC dans le centre d’entraînement milanais.
Mais à y regarder de plus près, la portée de ces actions semble modeste en comparaison du montant astronomique engagé par la RDC : près de 49 millions de dollars sur trois ans, selon plusieurs sources gouvernementales.
Une genèse trouble, un budget multiplié par deux
Tout commence en octobre 2024, quelques semaines après la nomination surprise de Didier Mpambia Musanga à la tête du ministère du Tourisme. Ancien publicitaire sans expérience avérée dans la gestion publique, il doit son ascension à ses relations politiques, notamment avec le MSC de Laurent Batumona, très proche du président Tshisekedi.
Devant le Conseil des ministres, Mpambia présente un projet de sponsoring avec l’AC Milan chiffré à 12 millions d’euros. Le hic ? Ce projet avait déjà été évoqué par Didier Budimbu, alors ministre des Sports, qui avait refusé de l’endosser : le club réclamait alors 7 millions. Pourquoi la somme a-t-elle doublé ? Aucune explication n’a été donnée en Conseil. Malgré la stupéfaction, le projet est adopté, sans communication officielle, probablement pour éviter la polémique.
Une comparaison qui dérange : 49 millions contre 10
Le scandale prend toute son ampleur lorsqu’on compare ce contrat avec d’autres partenariats africains. Le Rwanda, par exemple, paie 10 millions de dollars jusqu’en 2028 pour promouvoir sa marque « Visit Rwanda » avec Arsenal, le PSG et le Bayern Munich, tous mieux classés que Milan en Europe.
La RDC, elle, signe pour 49 millions de dollars sur trois saisons… avec un club classé actuellement à la 20e place européenne.
Une visibilité réduite au minimum
Contrairement aux annonces triomphalistes, le logo de la RDC ne figurera pas sur les maillots officiels du club milanais en 2025/2026. L’AC Milan a expliqué que ses espaces publicitaires étaient déjà vendus pour la saison à venir. En compensation, la RDC devrait bénéficier d’affichages au centre d’entraînement et au stade San Siro, ainsi que d’une visibilité sur les réseaux sociaux du club.
Pour ce qui est du maillot, l’apparition du logo congolais n’est prévue qu’à partir de 2026/2027, soit un an après le début du partenariat… pour un contrat qui s’achèvera en 2028.
Le flou autour des porteurs du projet et des commissions
Autre point de tension : la question des commissions. Selon nos sources, l’initiateur originel du projet a été évincé, remplacé par Guelord Kasayi, un entrepreneur congolais actif dans le secteur touristique et proche du ministre Mpambia. Ce dernier est aujourd’hui présenté dans les médias comme l’architecte du partenariat avec Milan. Or, plusieurs documents internes attestent que le projet avait été initié bien avant sa participation.
Des voix internes dénoncent une opération de récupération politique doublée d’un partage opaque des commissions liées au contrat. Les bénéficiaires seraient essentiellement des proches du cabinet ministériel.
Un partenariat ou un pacte déséquilibré ?
Officiellement, le gouvernement vante un partenariat structurant et gagnant-gagnant. Mais dans les faits, l’AC Milan apparaît comme le principal bénéficiaire : près de 14 millions d’euros perçus dès la première année, une école à réhabiliter, une académie à lancer, un peu de communication. En retour, la RDC débourse, attend, espère.
À ce jour, aucune étude d’impact n’a été rendue publique sur le retour réel attendu en matière de tourisme ou d’image de marque pour la RDC. En l’absence de transparence, nombreux sont les observateurs à qualifier l’accord de « gouffre financier maquillé en succès diplomatique ».
Conclusion : opération séduction ou détournement masqué ?
La signature avec l’AC Milan devait faire briller l’image d’une RDC dynamique et ambitieuse. Mais l’enquête met en lumière un contrat bâclé, budgétairement incohérent, politiquement suspect et économiquement déséquilibré. Une fois encore, la communication l’a emporté sur la gestion rigoureuse, et les intérêts privés ont éclipsé l’intérêt public.
En attendant que les jeunes de Boma voient sortir de terre leur école, et que la future AC Milan Academy devienne réalité, une certitude : les millions, eux, sont déjà sortis du Trésor.